Egalité et Réconciliation
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France, paradis des tueurs en série ?

Seconde partie

[Lire la première partie]

 

La culture du résultat et les choix stratégiques de la hiérarchie ne sont donc pas les seuls responsables de l’échec français dans la traque des tueurs en série. Sous l’ère Sarkozy, la police nationale a connu un déplacement de ses priorités vers les cibles à haut rendement, générant des primes d’autant plus faciles. Dans ce domaine, mieux vaut donc faire la chasse aux putes, aux sans-papiers ou aux drogués, plutôt que de se casser les dents sur ces fantômes insaisissables (les tueurs en série ou les grands escrocs bien défendus acheteurs de « protections »), qui du coup n’existent pas. Ou plutôt, qui ne doivent pas exister, ce qui évacue l’échec.

C’est pourquoi les affaires élucidées dans ce domaine sont souvent le fait de fonctionnaires seuls, motivés, qui jouent leur carrière sur une traque difficile, complexe, au résultat aléatoire. C’est le cas du gendarme Jean-François Abgrall, adjudant à la section de recherches de Rennes, qui a voulu rester enquêteur au détriment de son avancement. Sans sa détermination, Heaulme aurait poursuivi sa route sanglante. Aujourd’hui, en retraite de la gendarmerie nationale, Abgrall poursuit en privé sa passion : la contre-enquête. Son livre Inavouable vérité (Albin Michel, 2006), écrit avec Dahina Le Guennan, une des rares victimes ayant survécu à Fourniret, apporte un éclairage précis sur les failles de la justice, qui ont « permis » ces longues séries de meurtres.

« Les enquêteurs ne s’intéressent pas nécessairement au parcours des criminels identifiés. Ils restent prisonniers des faits pour lesquels ils sont saisis. S’aventurer dans le passé y chercher le moteur secret d’un tueur pourrait être interprété comme de l’acharnement policier. »

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C’est la police belge, qui avait « raté » Dutroux, qui appréhendera Michel Fourniret

 

En effet la justice française cherche, pour un crime donné, un auteur. Mais ne peut partir d’un auteur pour chercher d’autres crimes. C’est difficile à croire, mais c’est ainsi. Fourniret, entre autres, bénéficiera largement et sans le savoir (c’est loin d’être un génie, malgré une presse plus avide de sensationnel que de travail de fourmi) de cette personnalisation de la peine. Tombé en 1984 pour une série d’enlèvements et de viols, il est jugé en 1987 :

« Les avocats réussissent à faire passer leur client pour une sorte de pied nickelé pitoyable. Et ce qui fait pitié n’inspire aucune peur. […] Les règles de procédure ont fait le reste… Les jurés ne jugent pas un parcours criminel mais des actes précis. Ils sont tenus de moduler la peine en fonction de la personnalité du coupable. Ils estiment cet homme malade, mais pas dangereux. […] Cet homme n’est pas irrécupérable. Ce n’est pas un asocial, un marginal, un paumé. Juste un père de trois enfants, un peu trop hanté par son enfance et qui a dérapé. Le verdit du 26 juin 1987 précise que Michel Fourniret bénéficie de circonstances atténuantes. Mais là encore, ce qui fait scandale aux yeux des victimes s’explique par les règles judicaires et le regard que l’on portait il y a 20 ans encore sur les criminels sexuels. […] Michel Fourniret a été condamné en 1987 comme simple délinquant sexuel parce que les faits et l’état du droit ne permettaient pas d’autres solutions. Il a bénéficié d’une libération conditionnelle pour bonne conduite après avoir purgé la moitié de sa peine, comme bien d’autres détenus. Il n’a pas été astreint à une obligation de soins parce que cela n’existait pas à l’époque. »

Pourtant, à la fin de sa garde à vue, le violeur fera une déclaration prophétique aux enquêteurs :

« Je pense que si je n’avais pas été interpellé, j’aurais continué. Comme vous pouvez le constater, il y a une certaine progression dans la gravité des faits successifs. Je m’enhardissais à chaque nouvelle affaire et ignore ce dont j’aurais pu être enfin capable. »

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Dahina, survivante de Fourniret, au procès de son agresseur

 

Pour Dahina, violée à 14 ans par le prédateur après un enlèvement, tout n’est pas qu’une question de procédure et de parcellisation du parcours criminel, il y a aussi les carences de la justice :

« Pendant des années, les parents d’Isabelle (Laville) vont espérer que de nouvelles enquêtes, de nouvelles recherches puissent leur livrer la clé du mystère. Ils ne savent pas qu’il n’y a plus d’enquête, que le dossier de leur fille a été classé par le parquet un mois seulement après sa disparition. À Auxerre, la disparition des mineurs n’est pas une priorité de la justice. Entre 1975 et 1989, des dizaines de jeunes filles ont disparu dans l’Yonne. On ne les a pas trouvées, on ne les a même pas cherchées. Leurs dossier ont été classés, archivés, perdus. On a suspecté un réseau organisé de pédophiles, de hautes protections, des magistrats impliqués. L’enquête officielle du ministère de la Justice a révélé qu’il n’y avait pas de complot ou de mystérieux réseau. Simplement des archives en désordre, des magistrats qui se succèdent, de l’incompétence, de l’indifférence. »

Et Abgrall de répondre à la question nodale :

« Comment un homme qui commet autant d’erreurs s’en sort-il aussi facilement ? Comment un criminel déjà condamné par les assises de l’Essonne a-t-il pu passer ensuite en jugement à Nantes, à Verdun et continuer à agresser sans être immédiatement suspecté et confondu ? […] La moindre des incartades pendant ces années [1987-2003] peut faire tomber le sursis et renvoyer Fourniret en prison. Et le fait de changer d’adresse sans autorisation, celui de ne plus se présenter devant le juge d’application des peines représentent justement des incartades qui auraient dû alerter. […] On voit bien que son habileté ne tient pas à son grand art du camouflage ou à sa parfaite connaissance des règles de la cavale mais à tous les dysfonctionnements de nos systèmes. Il a prospéré dans les failles. C’est le cas de nombreux criminels. Mais, pour Fourniret, les failles ont été suffisamment nombreuses et conséquentes pour produire un tel monstre. »

Entre autres failles, l’effacement incroyable mais pourtant prévu par la loi de son casier judiciaire :

« L’article 133 du Code pénal instaure une réhabilitation automatique au bout de cinq ans pour les peines de moins d’un an de prison et de 10 ans pour celles ne dépassant pas 10 ans. Michel Fourniret, condamné par la cour d’assises de l’Essonne à sept années de prison, entre dans la seconde catégorie. Lorsqu’il est arrêté en Belgique, en 2003, 16 ans se sont écoulés depuis sa sortie de Fleury-Mérogis, et un peu plus de 11 ans de puis sa dernière condamnation à 15 mois de prison par le tribunal correctionnel de Verdun. La réhabilitation automatique a le temps de jouer. C’est pourquoi le casier de Michel Fourniret est vierge. »

Le casier judiciaire vierge d'un prédateur de vierges…

 

Dans le cas Fourniret, tragiquement symbolique, sur une période de 20 ans, tous les services d’enquête possibles – police de l’Air et des Frontières, policiers de Nantes, gendarmes d’Auxerre, parquet de Verdun, enquêteurs belges – croiseront un jour sa route, mais ne s’y arrêteront jamais ensemble, et ne croiseront jamais leurs données !

Confirmation d’Abgrall :

« On fouille la maisonnette de Floing, où Jeanne-Marie Desramault a été violée et tuée quelques semaines auparavant. On fouille le Sautou, où elle a été enterrée. Et on ne trouve rien. On perquisitionne les domiciles de Michel Fourniret et Monique Olivier à la recherche de faux papiers et on passe à côté de la correspondance du détenu de Fleury-Mérogis que les policiers belges trouveront en 2003. Une correspondance qui explique en détail le projet criminel du couple. On n’a jamais été aussi près de le démasquer (1989), de stopper son parcours sanglant juste avant qu’il ne disparaisse en Belgique et on laisse passer cette formidable occasion. Cela paraît difficile à croire, impossible à admettre. Et pourtant, c’est tristement normal, tristement banal : aucun lien n’a été fait, aucune coordination n’existait entre tous ces services, policiers et gendarmes. Chacun a cherché dans son coin ce qu’on lui a demandé de trouver. Des informations rassemblées, même incohérentes au regard de la situation, sont restées inexploitées, sans explication. »

Conclusion de cette série de déficiences aussi fatales qu’involontaires :

« Il n’y a là aucune faute grave, aucune bavure policière. Juste des systèmes étroits produisant des réponses aberrantes. Quel sentiment d’impunité a dû s’emparer de Fourniret ! Il a vu pendant 15 ans se succéder les enquêtes, les visites de policiers et de gendarmes, les perquisitions, les arrestations, les gardes à vue, les détentions préventives, les audiences au tribunal sans que jamais un seul de ses crimes ne soit découvert. Déjà persuadé à l’origine de sa supériorité intellectuelle sur tous ses semblables comme le montrent les courriers de 1984, Fourniret s’est convaincu, au fur et à mesure des échecs de la justice, qu’il était invincible. Alors, il a tout osé. Il est parti en chasse sans sa femme, a ramené chez lui les trophées dérobés à ses petites victimes. C’est cette illusion de toute-puissance qui l’a perdu, le 26 juin 2003. Les échecs répétés de la justice ont fini par conduire Fourniret à sa perte. Rien d’autre. »

Alors, aujourd’hui, en 2015, après la prise de conscience de 2007, la création de services spécialisés dans la traque des criminels en série (l’OCRVP date de 2006), l’exploitation croisée des données de tous les fichiers possibles, la justice française a-t-elle comblé ses failles ? A-t-elle réduit les séries de meurtres, déniché plus de prédateurs, mieux pris en compte la douleur des familles ?

 

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Le plan des disparues de l’A6

 

L’avocate Corinne Herrmann écrit en 2009 :

« Dans un article intitulé “Fantasme du tueur en série” paru le 3 janvier 2006 dans Le Bien Public, le journaliste nous livre les paroles de policiers concernant les “meurtres de l’A6”, qui laissent sans voix. Dans une zone reliant le Creusot, à Macon et à Chalon sur Saône, surnommée “le triangle maudit”, une dizaine de jeunes femmes ont été assassinées. La Direction inter-régionale de la police judiciaire de Dijon critique la tendance des médias et des familles de victimes à faire planer sur cette affaire l’ombre d’un tueur en série. C’est pour eux clairement un fantasme. Et ils nous expliquent précisément pourquoi cette hypothèse doit être écartée.

“Les modus operandi ne sont pas les mêmes, certaines victimes ont été poignardées, d’autres frappées, une autre étranglée, d’autres ont été jetées à l’eau. Certaines étaient entravées d’autres pas. Certaines avaient subi des violences sexuelles. Et même dans les deux cas où le meurtrier s’est acharné sur ses victimes à coups de couteau, l’arme est différente et la façon dont les coups ont été portés exclut que l’auteur soit le même.”

Voici une analyse emplie des clichés que nous redoutons chaque jour et qui expliquent que ces prédateurs nous échappent. Des exemples concrets permettent immédiatement de répondre. Michel Fourniret, condamné pour sept meurtres, n’a quasiment jamais tué de la même manière. Certaines de ses victimes ont été droguées et étranglées, d’autres poignardées, d’autres tuées par arme à feu, d’autres ont été frappées à coup de poing puis noyées. Et nous ne connaissons pas encore toutes ses victimes. Francis Heaulme a tué à l’aide de son opinel, mais il a également étranglé certaines victimes, ou les a tué à coups de pierre. Les policiers (de la direction interrégionale de la PJ de Dijon) rajoutent :

“Et le nombre, il est établi pour certains des meurtres que plusieurs agresseurs étaient présents. Imagine-t-on un tueur en série agir parfois seul, parfois en groupe ?”

Eh bien oui, justement. De nombreux tueurs en série que l’on croit solitaires agissent en couple, voire avec différents complices. Comment nos enquêteurs peuvent-ils connaître si mal leurs classiques ? Fourniret agit seul ou avec son épouse. Francis Heaulme agit parfois seul, ou avec des complices de rencontre, jusqu’à trois complices différents sur certaines affaires. Et ce sont ces policiers qui doivent résoudre ces meurtres de l’A6, région par laquelle à peu près tous les tueurs en série des vingt dernières années ont transité ? On comprend mieux la longévité affolante de certains de nos tueurs. »

L’année criminelle 2004 est un carrefour, à l’origine de la prise de conscience officielle de 2006.

 

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En dénonçant son mari, Monique Fourniret déclenche sans le savoir le procès rétroactif des enquêtes gâchées, presque sabotées

 

Lors du procès de Marc Dutroux et de ses présumés complices (l’hypothèse du réseau pédophile sera abandonnée), la justice belge recueille les aveux de Monique Olivier, la compagne de Fourniret : huit meurtres d’enfants et un d’adulte. Ce qui la décide à parler ? Pas sa conscience, non, mais les 30 ans de réclusion de la complice de Marc Dutroux ! La justice imputera rapidement 12 crimes à son mari, trois demeurant impossibles à prouver. Dans l’affaire toulousaine, les corps de deux victimes de Patrice Alègre sont exhumés, on écoute les témoignages des prostituées Patricia et Fanny, que nient catégoriquement Dominique Baudis et son avocat. 2004 est aussi l’année où la police recueille l’ADN d’un homme, qui s’avèrera déterminant 10 ans plus tard, dans une des affaires des disparues de l’A6. Le 16 décembre de cette même année, condamnation à 30 ans de réclusion criminelle de Francis Heaulme, pour trois meurtres commis en 1988 et 1989.

Le grand public a l’impression que les crimes dégorgent d’une tuyauterie malsaine, et de partout : Ardennes, Yonne, Toulouse, Alsace, Perpignan… Les familles, devant une justice muette, malgré l’obligation d’une information semestrielle de la part du juge (et parfois du procureur), se tournent vers les médias. La pression augmente, le politique prend enfin les décisions qui s’imposent. Ce sera l’OCRVP, l’office central pour la répression des violences aux personnes. Police et gendarmerie collaboraient si bien, aux dires des autorités, qu’il faudra créer ce machin. Qui fait dans le dur : homicides, viols, pédopornographie, enlèvements, sans oublier les recherches sur les cadavres non-identifiés. Une cellule de 18 spécialistes des deux corps chargée de trouver des liens entre les différents meurtres inexpliqués, et qui comprend deux profilers, pardon, deux psychocriminologues. Elle utilise SALVAC, le système d’analyse des liens de la violence associée aux crimes, et apporte son savoir-faire aux enquêteurs locaux sur des affaires complexes. Comment fonctionne SALVAC ? Un service d’enquête (hors OCRVP) en charge d’un meurtre inexpliqué ou sauvage doit remplir un fichier de 152 à 168 items, censés faire jaillir des points de concordance, des rapprochements, et éventuellement « une suspicion de caractère sériel ». Le mot est lâché. Désormais, il est officiel. Aux États-Unis, on parle de sérialité depuis la fin des années 60, grâce au Zodiac de Californie, dont David Fincher tirera un long métrage aussi anxiogène que fidèle. Le film de 162 minutes montre toute la difficulté et l’ingratitude du travail de la police, qui ne peut pas toujours apporter la preuve déterminante, malgré un lourd faisceau de soupçons.

 

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Le « bâtard », violeur-tueur solitaire ou fournisseur de filles à un réseau ?

 

2006, c’est quasiment 30 ans après la première série de meurtres d’Émile Louis, le numéro un datant probablement de 1975, sans compter les agressions pédophiles depuis 1963. Pour la seule année 1977, cet ex-enfant de la DDASS, adopté par un fossoyeur et surnommé le « bâtard », violé dans cette institution (censée protéger ses enfants), tue cinq jeunes filles handicapées mentales légères. En 1981, nouveau meurtre. Ce coup-ci, tous les éléments accusent Émile Louis, d’après le gendarme Jambert. Mais le chauffeur de car ne prendra que quatre ans de prison en 1983 pour agressions sexuelles… sur les trois enfants de sa concubine. Il sera libéré en mars 1984, bénéficiera d’un non-lieu, et quittera Auxerre. Le procureur de la République René Meyer trouvera, lui, que le dossier des sept disparitions manque de preuves, et le rapport Jambert disparaîtra. C’est seulement 20 ans après la plupart de ces meurtres et disparitions que, sous la pression de l’association de défense des handicapées de l’Yonne, la cour d’appel de Paris ouvre l’information judiciaire, refusée par le juge d’instruction et le procureur d’Auxerre…

L’État dédommagera les familles des victimes à la place du tueur. Alors que tout et tous l’accusaient, Émile Louis aura bénéficié de 16 ans de liberté supplémentaire, entre 1984 et 2000. Fourniret, lui, écopera de 16 ans de liberté de 1987 à 2003. Mais tout cela est du passé. Aujourd’hui, le filet de fichiers et méthodes ne devrait plus laisser passer de tels squales.

Nous avons reconstitué un petit glossaire, non exhaustif, des outils désormais à disposition du chasseur de tueurs en série. Tous sont répertoriés dans le fameux rapport officiel de 2007, émanant du groupe de travail sur le traitement des crimes en série. Un rapport technocratique de 122 pages, bourré d’acronymes, et pétri de bonnes résolutions comme lors d’un premier janvier.

 

OCRVP : l’office central de répression des violences aux personnes, qui assure la collecte et le traitement centralisé des crimes à comportements systémiques, à direction police/gendarmerie conjointe

STRJD : service technique de recherches judiciaires et de documentation, c’est celui qui cherche des liens entre les affaires

EACCP : éléments d’alerte de comportement criminel particulier

STIC : fichier principal des antécédents judiciaires

FNAEG : fichier national des empreintes génétiques, relatif aux auteurs d’infractions à caractère sexuel, et alimenté par les enquêtes judiciaires seulement

FNAED : fichier national des empreintes digitales, commun à police et gendarmerie,

JUDEX : système judiciaire de documentation et d’exploitation, pour la détection de présomption de sérialité

ARIANE : application de rapprochements, d’identifications et d’analyses pour les enquêteurs

FIJAIS : fichier qui gère 60 000 noms et adresses de délinquants et criminels sexuels

SALVAC : système d’analyse des liens de la violence associée aux crimes, version française du logiciel canadien VICLAS, utile pour le geoprofiling (lien entre domicile de l’auteur et celui de la victime), un questionnaire pas systématiquement renseigné

FIJAIS : fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes

CJE : casier judiciaire européen, une préconisation du rapport

GAC : groupe d’analyse comportementale de la gendarmerie nationale, qui vient en aide sur les crimes complexes

TAJ : traitement d’antécédents judiciaires, ex-ARIANE (système d’application de rapprochement, d’identification et d’analyse pour les enquêteurs), fusion du STIC et de JUDEX, sorte de pot commun à policiers et gendarmes. Un fichier alimenté aujourd’hui par des données venues de l’étranger, les tueurs en série franchissant allègrement les frontières intra-européennes. À ce propos, des spécialistes du dossier Fourniret se sont intéressés à ses fréquents voyages de travailleur manuel sur des chantiers à l’étranger, pendant ses périodes « blanches »…

 

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Ce simple kit de prélèvement buccal de salive permettra de résoudre le meurtre d’Élodie Kulik, 10 ans après

 

Tous ces outils plus ou moins (bien) utilisés prouvent la prise en compte et la volonté de combler les dangereuses failles créées par le cloisonnement des enquêtes et les limites légales des procédures. Théoriquement, un Fourniret ne pourrait plus faire une carrière de criminel sexuel d’une durée de 40 ans (1963-2003), puisque c’est en 1963 qu’il est condamné pour attouchements sexuels sur deux fillettes de six et sept ans. Mais la récente efficacité en matière de résolution de crimes (en série ou pas) n’est pas seulement due à l’adoption de nouvelles méthodes ou à une subite ouverture d’esprit : c’est surtout grâce aux progrès de la police scientifique. Pour exemple, l’application d’une nouvelle technique, celle du recoupement par l’ADN familial, a permis la résolution du meurtre d’Élodie Kulik (2002). Un cas que les enquêteurs ont rapproché d’affaires non-élucidées… Pourtant, avant de résoudre le dossier Kulik, les enquêteurs n’ont pas ménagé leur peine : 10 000 personnes entendues, 14 000 factures téléphoniques passées au crible, 600 hypothèses suivies ! Mais l’empreinte trouvée sur place ne correspondait à aucun profil dans le fichier des empreintes génétiques.

Plus globalement, le FNAEG, qui a permis 60 000 rapprochements depuis 2001, renferme 1 800 000 personnes et 116 000 traces non-identifiées.

Du côté de la formation aussi, le retard français se résorbe. Jean-François Abgrall, tout en poursuivant avec succès sa carrière d’enquêteur privé, collabore avec des chercheurs et experts judiciaires à l’université de Rennes II. Stéphane Bourgoin donne des conférences au CNFPJ (Centre national de formation de police judiciaire) de Fontainebleau. Il transmet sa connaissance intime des criminels en série qu’il a « dérushés » (il en est à 55), ainsi que son analyse des scènes de crimes. Il décrit ainsi ses étranges « clients » au journal Le Monde :

« Ils reconnaissent qu’après leur premier passage à l’acte, l’addiction aux sensations qu’il procure est si forte qu’ils ne peuvent que recommencer s’ils restent libres. »

Il aura fallu tous ces tueurs aux CV interminables pour mettre à jour les failles des procédures, de la police et de la justice, et leur amateurisme en la matière. Aujourd’hui, ce n’est pas que tout va mieux, mais il est plus difficile de voir émerger des tueurs capables d’éliminer autant de personnes sur une si longue période, bénéficiant d’enquêtes aussi bâclées et de clôtures de dossiers aussi prématurées. Là aussi, les recours collectifs (class action) des familles de victimes, motivés par la douleur et la révolte, puis relayées par les médias, ont porté leurs fruits. Les changements politiques ne se font jamais tout seuls. Pourtant, une source nous révèle qu’un auteur de « dizaines de meurtres » est actuellement en liberté, mais sous surveillance, sans preuves suffisantes pour l’arrêter.

 

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Deux affaires identiques, l’une close,
l’autre pas…

 

Pendant ce temps, les plans Vigipirate contre les « terroristes » se succèdent, dans un luxe de moyens et de publicité qui frise la manipulation médiatico-politique. Pendant ce temps, les familles de victimes des tueurs en série continuent à souffrir d’enquêtes avortées ou bâclées. Songez que l’instruction du dossier Sophie Borca, assassinée à 16 ans en 1985 près de l’A26, a heureusement été reprise en 2012 par un juge du tribunal de Laon. Ce qui bénéficiera peut-être par ricochet à la famille Oudin, dont la fille de 13 ans a été enlevée et assassinée la même année, quasiment au même endroit. Malheureusement pour ces derniers, un non-lieu a été prononcé en 1992, et les scellés ont été détruits. Détruits, comme les proches de la jeune victime : sa sœur cadette est morte d’un cancer en 2008, et sa sœur aînée est en dépression depuis les faits.

 

Dans la tête du tueur…

 

 

C’est le titre de l’excellent téléfilm diffusé sur TF1 le 10 mars 2005, qui raconte le parcours criminel de Francis Heaulme (Thierry Frémont), qui finit par être arrêté par Jean-François Abgrall (Bernard Giraudeau). Une fiction remarquablement fidèle au dossier, et qui se termine sur les mots suivants :

« Beaucoup d’autres affaires dans lesquelles il était impliqué ne viendront sans doute jamais devant la justice. L’affaire Heaulme a révélé les carences et les limites de notre système juridique. Bien sûr, les techniques policières et les protocoles d’investigation ont connu de véritables avancées. Bien sûr, l’ADN, l’informatique, la psychocriminologie, ont fait leur entrée dans l’arsenal des enquêteurs. Mais une question demeure : à l’époque, Heaulme a bien failli s’en sortir. Combien de temps aujourd’hui un criminel de son espèce pourrait-il tuer en toute impunité ? Notre système est-il enfin prêt à y faire face ? »

Voilà comment Heaulme, qui aura tué de 1984 (après la mort de sa mère) à 1992, « avoue » le meurtre d’un enfant belge de 9 ans dans le Var :

« Un jour, entre Dunkerque et Cherbourg, j’ai étranglé un arbre. J’ai serré, il est devenu mou. C’était un jeune. Je l’ai laissé dans les herbes folles, près d’une route, à 12 kilomètres de la mer. C’était en 1989. »

Sur Francetvinfo.fr, on apprend que « cette “grande saucisse édentée”, qui se réfugie sous les fenêtres du directeur de l’école pendant la récré, est surnommée “Félix le chat” par ses camarades. Ils l’ont surpris en train de manger des boîtes de Ronron, faute d’être suffisamment nourri à la maison. » 

Une enfance détruite qui détruira d’autres enfances… La bombe à retardement que représente une enfance saccagée peut-elle être désamorcée ? Réparée ? Pardonnée ? Certains y croient. C’est le cas du député PS de l’Isère André Vallini, ancien président de la Commission d’enquête sur Outreau, qui faillit devenir ministre de la Justice de François Hollande en 2012 :

« Aujourd’hui nous sommes tous horrifiés par ce qu’a fait Fourniret, tous. […] Qui vous dit que cet homme ne sera pas éventuellement susceptible d’être remis sous surveillance éventuelle, sous surveillance éventuelle, dans la société ? » (Mots croisés, France 2, le 14 avril 2008)

Lire la première partie :

 

Voir aussi, sur E&R :

 
 






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10 Commentaires

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  • #1170657
    Le 25 avril 2015 à 20:30 par Capitaine Haddock
    France, paradis des tueurs en série ?

    L’affaire Fourniret est complètement dingue, il tombe en prison, rencontre un prisonnier qui lui dit où se trouve un trésor, il creuse dans le cimetière ,le trouve, s’achète un château, et s’amuse avec ses proies dans ce même château . Il faut être un alcoolique pour sortir un tel scénario.

     

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  • #1170667
    Le 25 avril 2015 à 20:47 par Capitaine Haddock
    France, paradis des tueurs en série ?

    Le pire c’est qu’aujourd’hui, 3/4 des policiers sont mobilisés à lutter contre le terrorisme donc une famille qui perd un gosse et un Fourniret ou Heaulme insaisissable suffiront pour inciter les enquêteurs à boucler l’enquête, ce qui me fait dire que les enquêtes non-élucidées sont beaucoup plus nombreuses que ceux que l’on pourrait penser et que des tueurs en série à l’heure actuelle y’en a plein sur le territoire.

     

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  • #1170678
    Le 25 avril 2015 à 21:07 par Heureux qui, comme Ulysse...
    France, paradis des tueurs en série ?

    Au lieu de courir après les "tueurs en série", il est plus opportun de regarder quels sont les zélus dont l’ombre plane systématiquement dans les affaires qu’on leur attribue ! Une liste de ceux en poste dans les régions concernées au moment de la commission des crimes permettra d’aller à l’essentiel et de démêler l’écheveau... mais la "république" risque bien d’être pour le coup moins sexy !

     

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  • #1170776
    Le 25 avril 2015 à 23:29 par Javert
    France, paradis des tueurs en série ?

    Un flic sans indic est aveugle .

     

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  • #1170859
    Le 26 avril 2015 à 05:55 par mon avis
    France, paradis des tueurs en série ?

    Vous voulez que je vous dise , ce type édenté avec ses lunettes , il a plus la tête d’un simple d’esprit que d’un tueur fou , j’ai un doute sur toutes les saloperies qu’on lui a mis sur le dos , c’est juste un avis , je peux me tromper...

     

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    • #1170970
      Le Avril 2015 à 11:54 par Akarat
      France, paradis des tueurs en série ?

      Nous on préférerait que tu ne nous dises pas non ... je ne comprend pas comment la modération peu laisser passer ce genre de message...

      Avant d’exprimer un avis il serait bien de s’informer de l’affaire sur laquelle on le donne :

      http://www.tueursenserie.org/spip.p...

      Il a reconnu la plupart des crimes pour lesquelles il a été jugé.
      Il a infligé à des enfants des sévices abominables, dont une centaine de coups de tournevis pour un petit garçon, un autre mis en bouillit à coups de pierres...
      Quand à sa dégaine il est atteint du syndrome de Klinefelter (chromosome Y en +) ceci explique cela.

       
    • #1171178
      Le Avril 2015 à 18:41 par mon avis
      France, paradis des tueurs en série ?

      et tu étais présent toi pendant les faits pour que tu te permette d’accuser ce type que tu ne connais que par voie de presse ? moi j’ai donné mon avis et j’ai fini mon com’ par "mais je peux me tromper"

       
  • #1170915
    Le 26 avril 2015 à 10:13 par Mojo Risin
    France, paradis des tueurs en série ?

    Merci à l’auteur de cette enquête : bon boulot, bien documenté, bien écrit. Ce genre de travail sérieux et professionnel est à des coudées au-dessus des papiers sensationnalistes et bâclés que nous subissons depuis des années (depuis la sortie du Silence des Agneaux).

     

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  • #1170983
    Le 26 avril 2015 à 12:09 par Paul
    France, paradis des tueurs en série ?

    Guy George, Paulin, Fourniret, n’appartenaient pas au "milieu", donc ils ne pouvaient pas être balancés par un indic, Fourniret et Dutroux ont finalement été balancés par leurs épouses qui ont pris peur . Mis à par rarissimes exceptions comme Abgral, les flics ne trouvent jamais rien et un criminel est presque toujours arrêté après dénonciation .

     

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  • #1171510
    Le 27 avril 2015 à 13:22 par Karl
    France, paradis des tueurs en série ?

    Superbe enquête, intelligente et documentée, qui fait honneur à E&R.

    On est d’abord effaré par l’amateurisme des forces de l’ordre, mais on conserve un espoir, d’abord parce que certains individus parviennent à surmonter tous les obstacles pour faire aboutir une enquête, et ensuite parce que l’institution semble se doter d’outils plus efficaces avec le temps.

    Merci d’avoir traité ce sujet.

     

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